Depuis quelques
temps, les initiatives se multiplient pour relancer et regrouper le mouvement
souverainiste. Les appels se sont faits pressants lors de la dernière campagne
électorale pour que "les partis souverainistes" collaborent afin de
battre "les partis fédéralistes". La plus récente initiative du
Nouveau mouvement pour le Québec (NMQ) avec son Congrès de la Convergence
nationale va dans ce sens. Leur appel parle d'un "effort collectif pour
réaliser l'indépendance du Québec" et pose comme diagnostic que "l'avènement
de l'indépendance est obstrué par des luttes partisanes".[i]
D'abord, il
convient de rappeler que le PQ n'est pas indépendantiste. Son option est passée
de la "souveraineté-association", à la "souveraineté-partenariat",
en passant par le rapatriement de compétences à la pièce, pour aboutir à la
"gouvernance souverainiste". Un parti qui s'engage catégoriquement en
faveur des traités de protection des investissements étrangers (dits de
"libre-échange"), qui est attaché à la monnaie canadienne, qui fait
tout pour ne pas froisser les multinationales minières, gazières et autres, ne
vise en fait qu'à renégocier les termes de notre dépendance, pas à mener une
lutte de libération.
Cette stratégie
superficielle reposant sur « l’unité des forces souverainistes » a
aussi le défaut de faire abstraction des questions sociales et des divisions
gauche-droite du paysage politique, comme si le combat pour briser le carcan du
fédéralisme canadien pouvait ne pas avoir de contenu social. Les milieux
dirigeants savent très bien qu’il n’en est rien, d’où leur ralliement presque
unanime au statu quo constitutionnel, garantie du statu quo social et de leur
domination économique.
Aussi, l'idée
selon laquelle la "division du vote souverainiste" serait
responsable, même en partie, du maintien du Québec dans la confédération est
une fabulation pure. Tous les sondages des dernières années montrent que les
appuis pour la souveraineté ou l'indépendance, quoique substantiels, demeurent
minoritaires. Seules les distorsions de notre mode de scrutin hérité du
colonialisme britannique permettent à un parti (souverainiste ou fédéraliste) de
remporter une majorité de sièges en ne comptant que sur une minorité des
suffrages. La stratégie d’Option nationale qui repose, en dernière analyse, sur
une simple élection dans le cadre du système actuel, relève de la pensée
magique. Comment en effet espérer briser la résistance de l’État canadien sur
la base d’une victoire électorale, possible avec l’appui du tiers d’un
électorat peu mobilisé, quand une victoire référendaire (demandant à peu près
le double en nombre de votes) est contestée à l’avance par la loi sur la Clarté
et la Cour suprême?
Bref, l'appel
du NMQ ne pose aucun diagnostic sérieux sur les raisons des échecs de 1980 et
1995 et de l'impasse dans laquelle se trouve le mouvement. Ce refus de poser
les vraies questions est au cœur de la crise intermittente perpétuelle du PQ et
de la multiplication des pôles de regroupement nationalistes depuis quelques
années. Au fond, ce que ces groupes tentent de faire, c’est de reconstruire une
grande coalition souverainiste sans contenu, donc de refaire le PQ en dehors du
PQ, ce qu’on pourrait appeler du « métapéquisme ». Ces démarches ont
le mérite d’irriter au plus haut point la direction du PQ qui prétend toujours
incarner cette vaste coalition. Mais pour ceux et celles qui désirent
renouveler le mouvement pour notre libération nationale, il s’agit d’un grand
détour pour nous ramener à notre point de départ en forme de cul-de-sac.
Dans son
dernier essai, Mathieu Bock-Côté, intellectuel autoproclamé du nationalisme
conservateur, affirme avec raison que « l’idée de l’indépendance…a
dégénéré sous la forme caricaturale du souverainisme officiel,… ». Il ose
dire que « Ce qui reste du souverainisme parlementaire, tout occupé à
gérer un fond de commerce électoral, ne sait plus trop quoi faire de son
option. » Je partage également son diagnostique à l’effet que « Avec
la Révolution tranquille, l’indépendance est passée de rêve à idée à projet.
Aujourd’hui, elle fait le chemin inverse. »[ii]
J’ajoute que non seulement la souveraineté n'est plus un projet concret pour le
PQ et les péquistes, mais qu’il a été réduit à un simple marqueur identitaire,
comme un macaron ou un ruban de couleur. On a vu d'ailleurs avec quelle
facilité le caucus du PQ pouvait porter le carré rouge pendant les semaines les
plus intenses de la grève étudiante de l'an dernier, puis se l'interdire
jusqu'à l'élection, puis s'essuyer le derrière avec, en écartant à l'avance la
perspective de la gratuité scolaire et en jouant avec les mots sur le gel.
En fait, le PQ
et le Bloc en sont rendus depuis quelques années à une stratégie politique
fondée sur la simple "identification" avec la cause souverainiste. Il
faudrait voter pour ces deux partis parce qu'ils "sont"
souverainistes. Le fait qu'ils ne prennent aucun engagement ferme allant dans
le sens de la réalisation du projet ne devrait pas être pris en compte.
Lors du débat
des chefs, Mme Marois disait, essentiellement, quand on lui a posé une question
sur l'éventualité d'un troisième référendum: "Faites-moi confiance, je
suis souverainiste, j'aimerais en tenir un (référendum) et j'en tiendrai un
quand je penserai pouvoir le gagner." Maintenant, son parti prépare une
campagne de promotion de l'idée de la souveraineté. Mais si on se fie à leur
travail antérieur, on ne devrait pas placer beaucoup d'espoir dans cette
initiative qui sera sans doute aussi vide de contenu social, démocratique ou
autre que l'entente à la base du dernier référendum.
Quand les
sondages ont commencé à indiquer un tournant des intentions de vote vers le
NPD, durant l'élection fédérale de 2011, les ténors du Bloc ont également eu
recours à cet appel identitaire. Toutes les électrices et tous les électeurs
qui "étaient" souverainistes devaient voter Bloc simplement à cause
de cette identification du parti à la cause, indépendamment de la réalité
politique et de l'absence de conséquences concrètes allant vers la souveraineté
advenant leur victoire. Le fait que le tiers de l'électorat souverainiste ait
décidé de voter NPD à partir d'autres considérations (comme de chercher une
alternative gouvernementale face aux Conservateurs) a été reçue par plusieurs
comme une aberration, un comportement irrationnel. En fait, ce vote avait bien
plus de substance et de conséquences possibles que le vote pour un parti
affirmant "défendre les intérêts du Québec", comme si tout le monde,
au Québec, avait les mêmes intérêts.
L'exemple
ultime de ce nouveau souverainisme identitaire est sans doute le ralliement de
François Rebello à la CAQ. Lors de la conférence de presse annonçant sa
décision, l'ancien député péquiste s'est justifié en affirmant qu'il
"était" toujours souverainiste et que pour lui, l'élection d'un
gouvernement caquiste allait préparer le terrain pour la souveraineté. Lucien
Bouchard ne parlait pas différemment en affirmant, en 1996, que l'élimination
du déficit faisait partie des "conditions gagnantes".
Face à cette vision de la souveraineté dont la minceur
atteint maintenant des niveaux bidimensionnels, il est urgent de retourner aux
sources et de refonder le mouvement pour la libération nationale du Québec sur
des perspectives stratégiques claires et un projet ayant de la substance. C'est
ce que Québec solidaire a commencé à faire en mettant de l'avant le projet
d'une assemblée constituante, un processus profondément démocratique
d'élaboration du contenu de notre projet national. C'est aussi ce que Québec
solidaire a fait en développant l'idée du "pays de projets", en
faisant de l'indépendance un moyen pour arriver à réaliser des objectifs
correspondant aux ambitions et aux valeurs de la majorité.
Il faut en finir avec cette notion de la "grande
famille souverainiste". Certaines des forces politiques qui portent cette
étiquette ne s'engagent à rien pour le moment, et ne promettent pas grand chose
de neuf même advenant la réalisation de leur modeste objectif. Cette stratégie
a été essayée pendant quarante ans et a échoué. Le PQ au pouvoir depuis
quelques mois nous rappelle quotidiennement pourquoi nous avons cru nécessaire
de fonder un nouveau parti et de proposer une alternative indépendantiste de
gauche. Quand à Option nationale, ses partisans font face à un choix. Soit ils
et elles optent pour la construction d'un groupe de pression qui fera des pieds
et des mains (en vain) pour pousser le PQ à s'engager dans une lutte pour
l'indépendance, soit ils et elles décident de travailler avec Québec solidaire
et d’autres au renouvellement du mouvement, tant sur le plan du pourquoi que du
comment arriver à l'indépendance.
Un grand écart allant de QS au PQ en vue de favoriser
l'élection d'un gouvernement majoritaire "souverainiste" ne
contribuerait en rien à mobiliser la population pour un changement politique
aussi majeur que l'indépendance. Une telle alliance serait sans principes, sans
perspective, et ne ferait que brouiller encore davantage un paysage politique
déjà confus et générateur de cynisme. Dans un prochain texte, nous aborderons
la question de pourquoi faire l’indépendance, en développant un argumentaire à
la fois internationaliste et ancré dans notre histoire, à l’opposé de
l’argumentation étroitement nationaliste et bêtement consumériste des
péquistes.
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